Economie de marché ?

Publié le par presencesud

Samir Amin - Biographie, 

Samir Amin est un éminent professeur d’économie politique du développement. Il est le directeur du Forum du Tiers-Monde. Samir Amin enseigne l’économie à l’Université de Poitiers, Paris et Dakar. Il a beaucoup publié sur le droit, la société civile, le socialisme, le colonialisme et le développement, particulièrement en Afrique et dans le monde arabe et islamique. Parmi ses nombreuses publications figurent Eurocentrisme (1988), L’empire du chaos (1991) et Au-delà du capitalisme (1998)

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Économie de marché
ou capitalisme des oligopoles ?
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 Par Samir Amin, économiste et président du World Forum for Alternatives, qui explique l'importance des différentes classes dans la définition du capitalisme. Aujourd'hui, c'est la haute finance qui tient les ficelles, à telles point que l'État lui est soumis.


               Wall Street (Photo cc-epicharmus-Flickr)



Un capitalisme «au-delà du marché»


Capitalisme et économie de marché ne sont pas synonymes, comme voudrait le faire croire le discours politique dominant et les économistes conventionnels. Le caractère spécifique propre au capitalisme est celui d'un système fondé sur la propriété privée des moyens de production. Une propriété qui est par définition celle d'une minorité, privilégiée. Une propriété qui est celle d'équipements importants (autres que la propriété du sol) à la hauteur des technologies modernes de la production depuis deux siècles, à partir de la première révolution industrielle (début du XIXe siècle), et les suivantes. La majorité, non propriétaire, est alors contrainte de vendre sa force de travail : le capital emploie le travail, le travail ne dispose pas librement des moyens de production. Le contraste de classe bourgeoisie/prolétariat définit le capitalisme, le marché n'est que la forme de la gestion de son économie sociale. 
Cette définition situe donc le propre du capitalisme non «dans le marché», mais «au-delà du marché», dans le «monopole» que représente la propriété privée. Pour Marx, et après lui Braudel et même Keynes (en partie), il s'agit là d'une évidence plate, dont l'idéologie dominante feint d'ignorer l'importance décisive, pour lui substituer celle du «marché».

La bourgeoisie, une classe fractionnée 
La bourgeoisie en question a elle même évolué au cours du déploiement de l'histoire du capitalisme. Mais si cette classe a toujours exercé un pouvoir économique, social et politique collectif dominant à toutes les étapes de cette histoire moderne, permettant ainsi sa reproduction et son développement, elle a également toujours été fortement hiérarchisée. Il y a donc toujours eu des fractions de cette classe qui commandent les hauteurs dominantes du système économique. Ces fractions ont parfois été en mesure d'exercer un pouvoir de tutelle puissant sur l'ensemble de la classe, et dans ce cas ont prélevé sur le surproduit collectif créé par l'exploitation du travail une «rente de monopole» décisive. En apparence ce prélèvement est produit par le fonctionnement de mécanismes de marché. Mais il ne s'agit là que d'une apparence, le monopole social et politique étant lui, le moyen véritable par lequel opère cette ponction. 
Dans certaines conditions la puissance de ce monopole a été réduite par l'intervention politique des couches capitalistes «moyennes» (et même «petites») et la recherche d'une alliance bourgeoise large, nécessitée entre autre pour faire face au défi des classes populaires. Dans ce cadre il est même arrivé que l'alliance exige un «compromis social capital/travail» moins défavorable aux travailleurs. Ce fut le cas du capitalisme du Welfare State de l'après seconde guerre mondiale. Il est donc toujours important de qualifier l'état des conflits sociaux et politiques propre à chacune des phases de l'histoire concrète du capitalisme réellement existant. Les caractéristiques propres à une phase donnée sont le produit complexe à la fois des transformations internes du système productif (technologies, degré de centralisation du capital, etc.) et de l'équilibre des forces sociales et politiques spécifique au moment considéré.



Les dominants
régulent les marchés à leur profit
 

La strate dominante du capital doit être qualifiée de «grand capital financier». Non au sens qu'il s'agirait de capitalistes opérant dans le secteur financier du système (banques et autres), mais au sens qu'il s'agit de capitalistes ayant un accès privilégié aux capitaux nécessaires pour l'épanouissement de leurs activités, lesquelles peuvent concerner différents secteurs de l'économie (production industrielle, commercialisation, services financiers, recherche et développement). Cet accès privilégié leur donne un pouvoir particulier et puissant dans le façonnement des marchés, qu'ils régulent donc à leur profit. En particulier c'est ce groupe oligopolistique de la bourgeoisie qui, dans la phase actuelle, domine le marché financier (les taux d'intérêts) et, dans l'économie mondiale celui des taux de change. C'est elle qui commande les investissements décisifs dans les branches dominantes de l'économie, les investissements à l'étranger, le grand commerce international des produits de base, la recherche technologique de pointe, les fusions etc. 
La puissance de cette strate est telle qu'elle entre en concurrence avec l'État, représentant collectif du capital et gestionnaire du bloc social hégémonique qui assure la valorisation et l'accumulation du capital. Un bloc qui dans certaines circonstances (celles du Welfare State) prenait en considération les exigences du compromis capital/travail en exercice.

L'État est domestiqué au service de la haute finance 
Dans certaines circonstances donc l'État intervient pour limiter les pouvoirs de la haute finance. Il se donne les moyens de contrôler le marché financier, la Banque Centrale exerçant alors un pouvoir décisif dans la détermination des taux d'intérêts, de contrôler les relations extérieures par le contrôle des changes à des degrés divers etc. Il va parfois même plus loin, l'État imposant sa tutelle sur la recherche et les décisions concernant les investissements majeurs. Ces pratiques peuvent dépasser de loin les seules politiques de la dépense publique et de l'endettement public, et les politiques dites monétaires. Les combats de Keynes allaient exactement dans ce sens comme Dostaler l'a écrit . 
Mais dans d'autres circonstances la haute finance parvient à domestiquer l'État et à le réduire au statut d'instrument à son service. Les thèmes de la privatisation à outrance, de la «dérégulation» des marchés (entendue comme l'abolition des interventions régulatrices de l'État, abandonnant à la haute finance le contrôle des marchés), du retrait de l'État sont alors orchestrés, organisés en un ensemble doctrinal et idéologique adéquat. 

Nous sommes dans un moment de ce type. La raison de cette évolution ne réside pas pour l'essentiel dans la nature des transformations objectives des systèmes productifs, en rapport avec la concentration et la centralisation du capital, les révolutions technologiques en cours etc. Ces transformations sont réelles, et exercent leur pouvoir dans la modulation des formes d'exercice des pouvoirs de commandement de la haute finance. Mais à l'origine de ce véritable renversement des rapports de force, de la substitution directe de la haute finance à l'État, il y a pour l'essentiel des raisons politiques et sociales: l'érosion et l'épuisement des formes de régulation de la reproduction économique et sociale propres à l'après seconde guerre mondiale. Ces formes – le Welfare State en Occident développé, le socialisme réellement existant à l'Est, les populismes nationaux dans le tiers monde – avaient régenté à la fois les rapports sociaux à l'intérieur de chacun des trois groupes de sociétés concernées et les rapports internationaux. La page de cette phase de l'histoire est tournée. L'épuisement – voire l'effondrement – des systèmes de l'après guerre a inversé les rapports de force au bénéfice du capital, et la haute finance s'est trouvée de ce fait capable de s'emparer des postes de commande. 

Suite:

 *Les secrets d'une stratégie économique
   
au service de la haute finance   2/4

*La«financiarisation»
de l'économie mondiale est-elle «viable» ?  3/4

*La nouvelle ploutocratie née de la mondialisation 4/4


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Commenter cet article
L
"....Il s'agit d'une «poignée» de groupes : une trentaine gigantesques, un millier d'autres, guère plus...." <br /> <br /> Il ne faut pas oublier la part importante des fonds de pension americains et des fonds souverains dans le capital international. Les fonds de pensions americains, ce sont les economies des americains qu'ils placent dans des placements financiers pour en tirer un profit maximum car ils n'ont pas de retraites par repartition. Le syteme americain des fonds de pension est un des moteurs de la recherche par les grands groupes industriels et financiers de profits de 20-25% completement incompatibles avec une juste remuneration du travail et un progres economique et ecologique harmonieux. Le systeme americain des fonds de pension met ainsi en concurence la remuneration du travail par les salaires avec la rentabilites de "l'epargne retrite" des fonds de pensions au profit de cete derniere. Les fonds souverains eux sont sous le controle direct des etats producteurs de petrole et de la Chine. Au dela de la rentabilite, ces fonds sont utilises pour diriger l'economie avec des objectifs strategiques et politiques (voir a ce sujet l origine saoudienne des resources D'Al Quaida).
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