Les cent ans de Levy-Strauss

Publié le par presencesud

 "Ce que je constate : ce sont les ravages actuels ;
c'est la disparition effrayante des espèces vivantes,
qu'elles soient végétales ou animales ;
et le fait que l'espèce humaine
vit sous une sorte de régime
d'empoisonnement interne - si je puis dire -
Je pense au présent et au monde
dans lequel je suis en train de finir mon existence.
Ce n'est pas un monde que j'aime » 


France Culture  

Dossier: Lévi-Strauss


*Levy-Strauss Claude   (Memo)

*Claude Lévi-Strauss - Wikipédia


Claude Lévi-Strauss,

un penseur dans le siècle     Lejdd.fr


Lévy-Strauss vu par quatre jeunes universitaires -

«Le plus grand anthropologue» - - Dossier - nouvelobs.com


Pourrons-nous encore le lire demain ?

par Benoît Fliche*

Amer paradoxe : Lévi-Strauss dans la Pléiade au moment où l'anthropologie française se meurt. Ce n'est pas faute de reconnaissance par les autres disciplines. L'originalité de ses méthodes et sa capacité à secouer les idées reçues font que l'anthropologie n'a jamais eu autant de succès chez les philosophes, historiens, psychologues ou politistes, en France et ailleurs. Dans l'Hexagone, parce qu'elle a notamment montré combien le lointain peut être proche et le proche lointain, elle constitue l'une des disciplines les mieux armées conceptuellement pour analyser les phénomènes de globalisation. Très dynamique, l'anthropologie se porte bien. Et pourtant... Elle vit, dans notre pays, une crise institutionnelle qui menace de l'engloutir : menace de disparition au CNRS, pénurie de postes et non-renouvellement des départs à la retraite au CNRS et à l'université, fermeture progressive des départements où on l'enseignait. On voit ici le résultat de l'attitude dubitative des pouvoirs publics, qui prend pour appui une question perversement «naïve» : «A quoi ça sert ?» Commettons ici l'irrévérence de rappeler que l'oeuvre de Lévi-Strauss, dans cette perspective utilitariste, n'a jamais servi à rien, même si elle contient les ferments conceptuels pour rendre intelligibles des questions aussi diverses que les formes contemporaines de parentalité ou les organismes génétiquement modifiés.
Cette oeuvre constitue en revanche l'un des socles de la discipline. Même si elle est de nos jours critiquée, parfois vivement c'est là le destin d'une oeuvre scientifique -, sa fréquentation demeure nécessaire pour tout anthropologue, apprenti ou confirmé. Dit d'une façon familière et néanmoins très sérieuse, il y a là une manducation obligatoire. Mangé et digéré, Lévi-Strauss imprègne l'ensemble des tissus conceptuels de notre discipline, sans que nous en ayons toujours conscience. Or une oeuvre n'est vivante que si elle est lue. Celle de Lévi-Strauss n'est pas littéraire, mais scientifique, avec tout ce que cela comporte de difficultés d'accès et de nécessaire érudition. Qui lira encore «la Pensée sauvage» lorsqu'il n'existera plus de gastronomes pour en décrire aux autres la saveur et la valeur ? Embaumé pour l'éternité dans quelques volumes d'une collection de luxe, l'Immortel dépérira bientôt de solitude.

(*)
Benoît Fliche est anthropologue au CNRS.

 

Vers «une nouvelle écologie»

par Martin Rueff*

Penser, c'est associer, connecter, relier, articuler, structurer; penser comment on pense, c'est étudier le sens des articulations. Lévi-Strauss a donné à ce principe une extension sans précédent en cherchant dans la«pensée sauvage» et ses expressions mythiques les richesses savoureuses de toutes les formes d'association. Il y fallait une patience et un tact hors du commun, mais aussi, et sans doute cette qualité est-elle associée aux deux premières, une athlétique qui conduit loin des sentiers battus par la philosophie.
Des «Structures élémentaires» aux «Mythologiques», «grandes» ou «petites», Lévi-Strauss aura donc été celui que Hume appelait de ses voeux dans «l'Enquête sur l'entendement humain» 
: «Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu de philosophe qui se soit proposé d'énumérer ou de classer les principes d'association entre les idées.» Il a offert la plus singulière entreprise jamais tentée : proposer une science de l'entendement humain en décrivant les articulations à l'oeuvre dans les structures mythologiques.
Avec lui, il faut abandonner le rêve d'une signification première, car l'analyse structurale ne se soucie pas d'interpréter ou de remonter à quelque origine : pour elle, tout mythe est traductible en un autre, toute version en une autre version, tout code en un autre code. Et il y a plus encore :
l'association est partout. Elle est à l'oeuvre dans les structures mêmes de l'esprit (c'est le matérialisme de Lévi-Strauss) et dans la perception même (son esthétique encore mal comprise nous apprend que le donné de la sensation est déjà affaire de structure et que «regarder» et «écouter», c'est déjà comme «lire» : ordonner). Enfin, comme le Valéry de «l'Homme et la Coquille» ou le Caillois des «Cohérences aventureuses», Lévi-Strauss nous apprend que le structuralisme doit être généralisé à l'univers des formes naturelles. La leçon du savant n'est pas seulement porteuse d'une morale ou d'une politique : elle enveloppe une nouvelle écologie. Comprendre leur articulation reste la tâche de l'anthropologie qui vient.

(*)
Martin Rueff est poète, traducteur et maître de conférences à l'Université de Paris-VII-Denis-Diderot, où i enseigne la littérature et la philosophie. Il a également participé à l'édition de l'oeuvre de Lévi-Strauss dans la collection de la Pléiade.

 Le Nouvel Observateur





             

 

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